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6 jours sur le sentier frontalier en Estrie : L'expédition des braves randonneurs


© Charly Dupasquier

Comme chaque automne, mon amoureux, des amis et moi-même partons pour une expédition d’une à deux semaines en autonomie complète. En 2020, ayant pour plan le parc national de Gros Morne, impossible à réaliser cette année en raison de la Covid-19, nous avons opté pour l’expédition des Braves Randonneurs en Estrie : six jours en autonomie complète sur le sentier frontalier ralliant Chartierville au poste de douane de Woburn, 82 km plus loin. Un défi merveilleux d’endurance en portant un sac de 45 à 50lbs, vivant en pleine nature dans les montagnes. Un pied au Canada et l’autre au États-Unis, la vue sur les Appalaches canadiennes et américaines est imprenable. Ce sentier fut créé en 1995, par des bénévoles passionnés et qui continuent à l’aide de dons, de l’entretenir et de le baliser avec ferveur. Comme chaque automne, mon amoureux, des amis et moi-même partons pour une expédition d’une à deux semaines en autonomie complète. Ayant pour plan le parc national de Gros Morne, impossible à réaliser cette année en raison de la Covid-19, nous avons opté pour l’expédition des Braves Randonneurs en Estrie : six jours en autonomie complète sur le sentier frontalier ralliant Chartierville au poste de douane de Woburn, 82 km plus loin. Un défi merveilleux d’endurance en portant un sac de 45 à 50lbs, vivant en pleine nature dans les montagnes. Un pied au Canada et l’autre au États-Unis, la vue sur les Appalaches canadiennes et américaines est imprenable. Ce sentier fut créé en 1995, par des bénévoles passionnés et qui continuent à l’aide de dons, de l’entretenir et de le baliser avec ferveur.


“Lors d'une longue randonnée, certains courent rapidement. D'autres marchent tranquillement. D'autres encore rampent péniblement. Mais un jour ou l'autre tous arriveront au bout du sentier.'' (Proverbe chinois)

J1 : Marchons jusqu'au Brise Culotte.


Depuis 1 mois que nous préparons notre expédition avec déshydratation des repas, du jerky, des collations, et la planification du matériel et du trajet, nous voici au jour J. Mon sac pèse 49lb, celui de mon conjoint 51 et celui de notre ami Pat, 53 lb. Pour un bon ratio, notre sac doit peser maximum un tiers de notre poids ... Avec mon 120 lbs toute mouillée, autant dire que mon sac est trop lourd. Mais en autonomie complète, passé le troisième jour, les bobos et la lourdeur du sac font partie de vous et la tête ne s’en préoccupe quasiment plus. Le corps est une machine fascinante, particulièrement lorsqu’il reprend ses instincts.


De quoi se compose notre sac alors qu'il faut s’alléger et non s’alourdir ? Il faut faire des choix :


  • les trois quarts de la place sont occupés par un sac compressible hydrofuge contenant le sleeping d’hiver (l’automne en montagne la température peut descendre en dessous de 0 degrés la nuit), un petit coussin de tête, mon pyjama et mes mouflons.

  • Un autre sac compressible hydrofuge comprenant mes vêtements de rechange: seulement 1 pantalon et 1 chandail (chacun utilisé 3 jours de suite), 3 paires de bas (chacune utilisée 2 jours), des petites culottes (la seule chose pour laquelle je ne fais aucun compromis!!), un chandail polaire chaud pour le soir, un blouson chaud, une tuque et des mitaines.

  • Le kit de pluie : coquille et pantalon goretex

  • La lampe frontale

  • La gamelle, 2 bouteilles de gaz avec le kit pour cuire la nourriture.

  • Un ustensile 2 en 1, une grande cuillère en bois, et un bon couteau

  • Un 3ème sac hydrofuge avec la nourriture (partager à 3 personnes, chacun portant une part égale de souper, de lunch et de collations). Tous les soupers sont déshydratés pour alléger le sac.

  • Un kit d’hygiène : savon biodégradable, brosse à dent et dentifrice.

  • Une serviette de bain peau de chamois (sèche très vite et très légère)

  • Une poche d’eau de 2 ou 3 litres

  • La vache à eau de 5 litre vide (pour récupérer l’eau des rivières le soir afin de préparer la nourriture et l’eau pour le lendemain)

  • Des briquets

  • Le purificateur d’eau à UV mais aussi des pastilles de pristine au cas où le purificateur tombe en panne.

  • Un jeu de carte

  • La carte topographique

  • Un iPhone avec l’application Gaia GPS qui me sert aussi d’appareil photo mais qui reste en mode avion toute l’expédition, ma batterie de recharge dans un ziploc, avec des piles de rechange pour la frontale.

  • Deux bâtons de marche

  • Un kit de réparation pour tente et matériel

  • La trousse de premier soin

  • La tente

  • Le matelas de sol

  • La machette (ou une petite scie pour couper le bois)

  • Deux rouleaux de papier toilette dans un ziploc avec un autre sac pour récupèrer les déchets afin de vivre en mode "sans trace '')

  • Une corde avec un grand sac hydrofuge résistant pour monter la nourriture et les produits d’hygiène dans les arbres à l’abri des ours au besoin.


Afin de nous donner un maximum de confort lors de votre ascension, nous plaçons toujours le stock le plus lourd en bas du sac, afin de le porter sur les hanches et non sur les épaules. Composer son sac et le balancer de la bonne manière est propre à chaque morphologie et fait l’objet d’essais-erreurs avant de bien connaitre son matériel et son corps.


Après avoir passé la nuit chez des nos amis Vero et François, qui nous accompagnent pour les deux premiers jours avec leur fidèle compagnon à quatre pattes, Axé, nous nous dirigeons à Woburn, au poste de douane chez Mr Mario Demerres. C’est chez lui que nous laissons notre auto, notre point d’arrivée dans six jours. C’est également lui qui offre la navette pour nous porter à Chartierville au départ du sentier.


Nous démarrons à 10h30 pour le premier tronçon de 14,2 km jusqu’à l’abri 3 murs des Brise-culottes (un linto). Premier conseil : bien suivre les triangles rouges SF balisant le sentier. Il y a des moments où le balisage laisse à désirer et il est facile de les manquer. Alors si vous ne voyez plus de balise pendant plus de 15 minutes, rebroussez chemin. On en a fait l’expérience ! Les couleurs chatoyantes de l’automne illuminent cette magnifique forêt mixte qui sera notre royaume pour 6 jours. Les montées et les descentes sont assez abruptes : le ton de l’expédition est donné ! Nous arrivons à midi et demi vers une cabane où aucune âme ne vit, et nous utilisons la table de pique- nique. Nous rions en se racontant des histoires de zombies sous la brume qui laissent soudainement place à des rayons de soleil.


Nous continuons ensuite sur le chemin forestier. Au bout d’un kilomètre sans balise, nous nous rendons compte que nous n’avons pas écouté le premier conseil de Mario : rebrousser chemin. Très à l’aise dans nos rôles, personne ne panique. Nous ne sommes pas perdus seulement momentanément égarés ! 11 km après le départ, nous cherchons encore les triangles rouges pour se remettre sur le bon chemin. Après une heure de vas et vient, nous les trouvons enfin Véro et moi grâce à nos instincts féminins. Il faut vraiment être vigilant. Il y a beaucoup de pistes de faune et de chasse qui peuvent être trompeuses et les balises ne sont pas toujours évidentes à voir. L’application Gaia GPS est un bon allié. Pensez à télécharger la carte chez vous avec du réseau avant votre départ pour utilisation. Une fois téléchargée, elle est accessible sans réseau. L’abri s’offre à nous 100 m plus haut au-dessus du petit ruisseau qui nous permet de nous alimenter pour la soirée et remplir les poches pour demain matin. Les sites de campement sont vraiment bien faits, avec un espace pour faire un feu de camps nous promet une douce soirée.


J2 : Brise-Culottes au secteur de la montagne de Marbre en passant par le Mont d’Urban (14,4 km)


Réveil tardif. Départ sur le sentier à 10h15 après un bol de gruau. Le sentier alterne entre ascensions et descentes avec une majorité d’ascension énergivores. Notre rythme est plus lent que la veille mais constant. Nous devons toujours être attentifs aux balises. La montée du Mont d'Urban est superbe dans cette érablière à bouleaux jaunes. La forêt est vieille et chargée d’une aura saisissante. Une fois au sommet se situant directement sur la trouée de la ligne frontalière, une brume fraîche nous enveloppe. Sur plusieurs kilomètres nous suivons cette ligne toujours vallonnée de montées et descentes, en jouant à saute-mouton sur les bornes américano-canadiennes. Les roches et les souches sont glissantes après la bruine, ce qui me vaut une belle chute en avant entrainée par le poids de mon sac. J’ai senti ce que ressent une tortue sur le dos ! Impossible de me relever sans les bras solides de mon amoureux. Moment cocasse. Au kilomètre 22, le sentier bifurque pour redescendre à travers une érablière tubulée et vraiment magnifique, suivant un sentier forestier menant au parking de départ du secteur de la montagne de Marbre. 500 mètres plus loin, nous rentrons dans le bois pour retrouver le deuxième abri 3 murs, situé est aux bords de la rivière au Saumon. Sur ce sentier, il faut porter attention à la ressource en eau. Un bon nombre de ruisseaux sont taris à cette époque de l'année. Fraîche de 4°et claire comme de l’eau de roche, je m’y plonge allègrement pour une toilette rapide. Trois Montréalais sur déjà là installés pour faire la fête. On discute un peu avec eux, très sympathiquement. Après le souper, ils se rendent compte de notre périple et dans un élan de générosité et de bienveillance incroyable, ils décident de prendre leurs affaires pour aller camper sur le parking et faire la fête, en nous laissant l’abri pour nous reposer. Merci à eux !



J3 : Secteur de la montagne de Marbre, Mont Saddle à l’abri 3 murs des Appalaches (14 km)


Sempiternel gruau dans le corps, départ à 08h00. Remettre le sac à dos alors que les hanches et les fessiers sont douloureux n'est pas une mince affaire. J’ai toujours trouvé que la pire journée d’une expédition était la troisième. Un manque d’énergie, des endroits du corps quelque peu meurtris, un sac à dos tout croche qu’on endure plus... Après cette journée là, tout redevient naturel, le sac fait partie de nous, le mental a apprivoisé les bobos et l’énergie revient aux galops. Sur ce tronçon SF2 bleu, les premiers kilomètres s’avalent à une vitesse folle. Nous marchons d’un bon pas sur le sentier forestier puisque le sentier SF1 est fermé dans ce secteur pour entretien. Ce sentier vous fait grimper à un magnifique point de vue, tout en haut de la montagne de Marbre. Et quand je dis monter, ce n’est pas un euphémisme ! La douce pente du début, laisse place à 1,5 km de face de singe. Par temps bouetteux, j’aurai peur de renverser en arrière avec mon gros sac à dos. Cela nous fait penser à l’ancienne ascension de l’Acropole des Draveurs au Parc national des Hautes-Gorges avant qu’elle ne soit aménagée pour en faciliter l’accès à tout à chacun. La prudence est de mise, un pas à la fois, mais le décor vaut son pesant de sueur. Un conseil : montez-là ! Je n’ose même pas imaginer la descendre avec un sac de 50 livres… Une vrai rouler-bouler jusqu’aux enfers.


Le panorama au sommet offre une vue imprenable sur toute la vallée avec le lac Danger et la chaîne de montagne du Maine. L’endroit idéal pour une petite pause contemplation, un petit encas et une petite sieste, avant de repartir sur la frontière qui monte et descend, telles des montagnes russes. La brume et le bruine nous enveloppent sur la montée caillouteuse du Mont Saddle, lui donnant un caractère bien trempé mais surtout irréel. C’est magnifique. La fatigue embarque et exige un focus plus important. La descente se poursuit sur 3,4 km dans une superbe érablière à bouleaux jaunes, truffée de traces d’orignaux et d’ours. Enfin, sur un chemin forestier, plus que2 kilomètres nous séparent de l’abri 3 murs des Appalaches. Avant d’emprunter la jonction, nous rencontrons un chasseur bière à la main qui, tout penaud, était bien surpris de nous voir ici. ‘’Mais d’où qu’ vous sortez vous aut’e ??’’ nous lance-t-il en riant. On lui raconte notre aventure ce qui le laisse coi. il nous informe que la grosse pluie prévue ne devrait pas durer longtemps .


Encore aujourd’hui il faut prêter attention aux balises. Au pied de la montagne, on s’est retrouvé aux États-Unis dans le temps de le dire, sans même remarquer les triangles rouges. Toujours la même leçon : Rebrousser chemin lorsqu’on n’a pas vu de triangles depuis plusieurs plus de dix minutes ! Arrivés à l’abri, le ruisseau qui devait nous abreuver est tari. Les gars décident de partir avec les poches d’eau pour trouver une source dans un rayon de deux kilomètres, pendant que je reste au campement allumer le feu de camps. Ce feu doit être fait au plus vite avant la pluie annoncée… Les nombreuses traces fraîches d’ours ne font que renforcer mon désir de maintenir un feu de camps résistant à la pluie. Après une demi-heure, mes compagnons d’aventure ont trouvé de l’eau mais dans un ruisseau stagnant. À bouillir avec précaution, que nous traitons également avec le stéripen. Ce n’est pas le moment d’être malade. Arriver tôt au campement permet de pallier à ce genre d’imprévus (manque d’eau, animaux sauvages, etc.) tout en prenant le temps de vivre, de relaxer, de se raconter. C’est un cadeau de la vie.

J4 : En direction de la ZEC du Mont Gosford, jusqu’à l’abri du ruisseau du Cap,

(17,4 km)

Il a plu fort toute la nuit… Ce matin 06h00, il pleut encore mais notre feu de camps vit encore ! On se sent prêt à affronter les éléments en enfilant nos couches Goretex. Tout le nécessaire est au sec dans des sacs hydrofuges, aucun stress. j’ai passé ma pire journée, je suis pleine d’énergie. Les premiers kilomètres se montent facilement et la pluie cesse … Tlaloc a arrêté de pleuré sur nos têtes. Au moment de monter, la pluie revient flirter avec nous. Arrivé à une altitude de 850 mètres, le sentier longe la frontière sur 5 kilomètres. Moins vallonnée que la veille, cette section se traverse facilement. L’ambiance sous la bruine a quelque chose d’étrange et de magique. On sent bien, doucement envelopper par un nuage de brume aux allures fantomatiques. Après une grosse descente par la forêt, le sentier bifurque en forêt sur 3 km environ. Cette veille forêt est enchanteresse et très peu de kilomètres nous séparent de l’entrée de la ZEC du Mont Gosford où nous voulons diner. Je prends la tête du peloton, la faim au ventre. Je gambade avec mon sac comme s’il pesait une plume. Les gars ont peine à me suivre tellement j’avale les kilomètres, au point que nous arrivons à l’accueil de la ZEC à midi tapante !

La superbe ZEC du Mont Gosford est une réserve écologique de 306 hectares, couvrant le versant Nord et Ouest du Mont du même nom qui culmine à 1193 m d’altitude, aussi intégré à la réserve des Montagnes blanches des Appalaches. Composée principalement de vieilles érablières à bouleaux jaunes. Les épinettes rouges y dansent aussi dans les sapinières à sapins Baumier et les oxalides des montagnes, ne poussant qu’à une altitude supérieure à 950 mètres. Nous y rencontrons une multitude de tétras du Canada.


C’est la seule section payante de l’expédition, avec un prix d’entrée et de campement, sauf si vous êtes membre du sentier (adhésion de 40 $ pour l’année). Comptez un droit d’entrée de 5$ par personne par jour, 45 $ par nuit aux abris 3 faces et 35 $ par nuit pour le camping rustique.


Après un bon diner, une bonne discussion avec le personnel de l’accueil, on apprend que la section du sentier principal de demain est d’une difficulté telle qu’elle prend à elle seule 6h à 8h pour seulement quelques kilomètres jusqu'au Trou du Diable. Soit un bon 10 h de randonnée au total, après 5 jours de marche. On a le niveau, cependant, avec ma blessure à la hanche et au coude, nous réalisons que ce n’est pas la meilleure option. Rien à prouver sur nos capacités physiques que nous avons déjà surpassées à maintes reprises :Passer le maximum de journées en nature, maison sur le dos, ensemble, c’est l’objectif contemplatif qu’on s’est donné en partant. Le choix entre le sentier principal et le sentier secondaire SF6 qui est de toute beauté pour un nombre de kilomètres semblables mais moins à pic, murie longuement dans nos têtes. Nous grimpons un peu plus loin que le camping prévu soit 2 km sur un dédale de roches, jusqu’à l’abri 3 murs du Ruisseau du Cap, qui surplombe un superbe torrent de montagne. L’eau glacée à 3 degrés accueille le vrai bon seul bain que nous aurons de la semaine. Aussi vivifiant qu’apaisant, ma carcasse sale prend un plaisir saisissant dans ce ruisseau de montagne. Une fois sortie de l’eau, une tonne de sérotonine envahie le corps, l'hormone du bien-être par excellence. Les vêtements du soir paraissent alors plus douillés et plus chauds. Tant mieux, ce soir les températures chutent considérablement à 0. L’automne est bien installé et les feuilles tombant au sol nous le rappellent. Une bonne paella maison déshydratée sur le feu réchauffe ce cocon douillet. Au moment d’aller se coucher, l’envie de pipi derrière l’abri me prend. Malgré ma lampe frontale, je me relève avec vigueur et m’explose littéralement le front sur le bord du toit de taule. Je tombe au sol, sonnée. Les gars sortent en trombe tellement le bruit a fait trembler l’abri. Ça me prend quelques minutes pour retrouver mes esprits avec un mal de coco intense … je touche mon front… Câline, je saigne. S’ouvrir le front en pleine expédition n’est pas l’idée du siècle. Mais finalement, une compresse et un pansement auront raison du saignement. Mais le mal de coco lui, m’a collé 48 h ! Autant dire que j’ai dormi avec la tête dans les étoiles au sens littéral du mot !!


J5 : Ascension du Mont Gosford, section jusqu’au campement du Trou du Diable, 10,3 km.


06h00, réveil...j’ai mal au crâne … Ma bosse me rappelle les évènements d’hier soir. La migraine me réconforte dans le choix de prendre le sentier secondaire. On a commencé ensemble, on continue ensemble. Tout le monde opte alors pour le tronçon bleu. Le rouge n’est qu’une couleur et la beauté du sentier n’en demeure pas moins magnifique. Avec ces gars-là, les choses sont simples, transparentes et la communication est facile. Les meilleurs avec qui partir à l’aventure. Bienveillance, tolérance, amitié, soutien, humour sont les maitres mots. En autonomie complète, il est primordial de prendre soin de ses comparses. Si eux n’avancent plus, nous non plus.

L’ascension du Mont Gosford est bien moins énergivore que la montagne de Marbre. La forêt mixte laisse place aux sapins baumiers, chargés de lichens. Du haut de ses 1193 mètres, Ce mont offre un panorama de 360° sur la chaîne des Appalaches et des montagnes Blanches, côté canadien et américain. Mes yeux se régalent en apercevant au loin le Mont Mégantic et les souvenirs chargés d’émotion, le Mont Washington et le Mont Frontière, puis un peu plus loin, le fameux Trou du Diable où nous nous dirigeons. Nous pouvons apercevoir la quasi intégralité du parcours que nous venons de réaliser… C’est impressionnant, de voir à plusieurs kilomètres, le Mont Urban, la montagne de Marbre, que nos pieds ont foulé quelques jours auparavant. Et dire que ces montagnes ont été façonnées par les multiples mouvements des anciens glaciers il y a plus de 13 500 ans. L’assise du Mont Gosford est encore plus ancienne ! Nos pieds sont posés sur un sol qui s’est formé il y a 600 millions d’années … De quoi avoir la tête qui tourne.


Nous poursuivons notre chemin, et nous laissons le SF1 pour s’élancer sur le SF8 qui bifurque ensuite sur le SF6 jusqu’au Trou du Diable, où nous camperons. Nous retrouvons une érablière à bouleaux jaunes fascinante et emprunte de magie. Une vieille forêt en parfait équilibre naturel, jonchée de chablis, de zones de régénération et de bois morts sur pieds : un habitat de luxe pour la biodiversité. Il y a des géants ici, qui protègent nos pas. Difficile de ne pas saisir l’importance d’un habitat naturel comme celui-là. Aux détours de quelques chemins, des êtres féériques apparaissent sur les troncs, et nous partons à la création d’histoires fantastiques que nous prenons plaisir à inventer au fil de nos pas.

Ce bout de bois ci-dessus, c'est un personnage que nous avons surnommé le Poissetin cornu.


Arrivés à l’abri 3 faces proche d’un ruisseau, à peut-être 2 km de notre campement prévu, j’ai comme la sensation qu’il faut remplir la poche à eau ici, car nous n’aurons pas d’eau là-haut. En effet, au campement situé à 200 m du Trou du Diable, aucun ruisseau, aucun point d’eau. Il faut être prévoyant ! La clarté est encore là pour un moment, nous partons légers descendre le Trou du Diable. Ce creux géologique est impressionnant. De retour au campement, nous décidons de se partager les tâches : je monte les tentes sur les plateformes, Pat s’occupe du feu, et mon courageux Tony redescend les 2 km de sentier jusqu’au ruisseau pour remplir les poches d'eau. Cela lui prendra 1h. Une fois le campement installer, se poser au bord du feu de camps, la chaudronne remplie d’un bon chili déshydraté maison, on se sent chez nous. En pleine nature, la magie c' est que le cerveau cesse de se prendre la tête sur les détails sans importance, sur les tracas de la vie quotidienne. Aucun stress à part le bon qui te permet d'assurer ta survie et le bien-être de ton groupe. Le cerveau vit alors pleinement le moment présent dans une sérénité déconcertante. Ces ressentis-là sont tellement précieux. Il faut le vivre pour le comprendre. Après le souper, on se remémore les drôles de formations forestières qui nous ont fait penser aux êtres féériques de la forêt, et nous réinventons une histoire folle sur le Poissetin cornu, mi poisson chat, mi bouquetin, gardien de la forêt du Trou du Diable.


J6 : Du trou du Diable au poste de Douane de Woburn (12 km).


Dernière ligne droite aujourd’hui, avec un petit 12 km. Aucun de nous n’est tenté de retrouver la civilisation. Nos cœurs, nos corps et nos têtes ont pris le rythme de la nature sauvage. Dur de réaliser que ce soir, l’odeur et le bruit de l’autoroute et la lumière d’une lampe électrique reviendront dans notre quotidien. Ce mode de vie me convient mieux que n’importe quel autre. Notre corps d’homo Sapiens est parfaitement adapté à notre environnement pour peu qu’on le laisse s’exprimer dans sa vraie nature. Vivre au rythme des saisons, de la lumière du soleil, de l’eau des rivières. Ces expériences remettent en perspective notre mode de vie surconsomateur. Il nous permet de réaffirmer ce dont nous avons réellement besoin, de comprendre ce qui va vraiment concourir à notre bien-être.


Après une douce nuit, nous préparons nos sacs et le petit-déjeuner, où ma maladresse fait encore des siennes en renversant la moitié de la casserole d’eau à terre ! Toujours être précautionneux avec la précieuse eau que je disais ?!


Sur les six premiers kilomètres, encore quelques ascensions parfois assez raides nous donnent du fil à retordre. Sur la frontière nous tombons sur les restes d’ossements d’un orignal. Nous ne l’aurons pas vu vivant mais nous l’aurons vu quand même. Mon caractère de biologiste ne peut s’empêcher d’alourdir mon sac en récupérant deux vertèbres et le fémur. Mes comparses font de même. Nous continuons notre marche en se remémorant à tour de rôles les moments les plus forts et les anecdotes les plus cocasses vécues sur ce sentier. Notre synergie de groupe est délicieuse. Nous entamons la descente vers la vallée, les feuilles d’automne volant sous nos pas. Nos corps sont plein d’énergie, le rythme est étonnant. Nous avançons fières et accomplis mais j’ai comme envie de faire demi-tour et de rester dans la forêt. Même si l’idée d’une vraie bonne douche me délecte je voudrais garder cette odeur d’humus et de feu de camps sur moi.


Nous arrivons à la fin de notre périple à 12h05. Mario nous attend à sa maison, proche du poste de douane, avec des bières et un chaleureux petit chalet que nous louons pour cette nuit. Nous faisons officiellement partie des braves randonneurs ayant réalisé entièrement ce sentier en autonomie complète. Au retour, il ne faut surtout pas oublier d’appeler la Zec Louise-Gosford afin de prévenir les gardes chasses de notre sortie, et éviter l’alerte de randonneurs perdus qui serait lancée au bout de 2 jours.


Je ne trouve pas les mots adéquats pouvant traduire la force de ce que l’on ressent dans ce genre d’expédition. C’est ressourçant, mais c’est surtout une leçon de vie incroyablement enrichissante, une leçon d’humilité, de communion avec la nature, de complicité avec des humains merveilleux mais aussi avec nous-mêmes. C’est apprendre de soi et des autres. C’est se faire confiance et fortifier son corps et son mental. C’est être dans le moment présent, à chaque instant. C'est tout simplement ÊTRE.

Pour en savoir plus : https://sentiersfrontaliers.qc.ca/


Merci à toute l’équipe de bénévoles du Sentier Frontalier qui fait un travail remarquable. Merci à Mario pour son dévouement, sa bienveillance et sa chaleur humaine et mes compagnons d’aventure, notre ami Pat et mon amoureux Tony. Merci à nos amis Véro, François et la mascotte de la gang, Axé, pour avoir partagé nos premières journées d’expédition.

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